“Water Theater” / “Théâtre d’eau”
Water theater, or the unity of opposites
Water theater, a rigorous geometry that reveals the unattainable enchantment of reality, with transparent flows led by shadows against the light, and acrobatic divers jumping – everything is recognizable, yet strangely unrecognizable. Is it the Parc André Citroën in the sparkling of water fountains? A lake in the Alps in this dull and smooth spreading? Or is it some kind of Midsummer’s Night’s Dream in full day, in which every actor is twofold in its gracious and droll shadow, as in the theatre of Shakespeare, with which Sabine Jaccard is so familiar?
In those photographs, each moment is an instant, as at the theater, and yet nothing can be told in words. Simple Matisse-like silhouettes, seemingly without thickness, as any papier collé childish saraband, reveal some real playful children, who immerse themselves in this primary element which brings joy to them, a water garden, a fiery forest of transparent trees which the wind on top flourishes in a white fog full of shiny bubbles. Other children with the same shadows, with the same acrobatic bodies, are running on a diving-board of harsh wood. They are going to jump, have jumped, are suspended in circles, or coil above the plane water. One of them is already engulfed, like a clumsy doll, switching on a thousand fires on the suddenly mobile surface.
For nothing appears steady, paradoxically, in what Sabine Jaccard captures, everything invites movement, everything constrains the look to follow subtle graphisms on the surfaces, that are now dull, now shiny yet rigorously plane from which arise the forms, or allying opposite graphisms which harmonise together: focussed circles, from which arise shafts of fountains, align and become encrusted into big slabs implacably cut in vast squares, the children’s shadows running through virtual hopscotches. The fountains themselves, the quintessence of transparency and vertical spouting, project their unexpected shadows against the light, like long obliques on the ground which deny to the viewer the fluidity they promise. Also, in the Talloires photographs, the perfect line which the lake draws at the horizon is contradicted by the narrowing perspective of the diving-boards which lead the gaze to where the swimmer is about to touch water. Those wooden planks are themselves streaked with strong shadows which make them appear more geometric, more rigorously contrasted with leaping movements which are taking form.
As Shakespeare liked to do, on the planks of his theater, all is seized in this moment when a metamorphosis starts, another word which used to obsess the poet of baroque contradiction and of irresolute time, in this moment which inscribes the almost painful curb of a latent length in all instants, as the expectation of an ending in the very moment when it renews its course. Thus some balls are dancing, at the peak of fountains, with an unstable equilibrium of opposite forces, with black shiny balls, in the crystalline pear-like which upheal them, ready to fall in order to always rebound.
Yet, rightly chosen to announce the exhibition, a photograph seizes time in an ideal apotheosis of the moment: a subtle game of renewal and metamorphosis inscribes the game of children in that of human beings, when the slender elves of this Midsummer’s End Dream still run amid the water columns. As the fountains form a living façade of limpid white in front of the black façade of a long building in the background, they create thus – as at the theater – the illusion of an improbable Parisian Versailles. Meanwhile, a balloon, highly placed on the central line of the photograph, makes visible a moment of perfect equilibrium by the almost flawless symmetry it renders, as if some childish balloon had escaped from the law of gravity, or from any threat of imbalance, or from the water which is always falling again, in order only to remain a rising element in the air.
The audacious creative contradiction which Shakespeare proclaimed in Macbeth – “Black is white, and white is black” -, this Sabine Jaccard seems to make her own in her photographs. Already, at the Sorbonne, as she was studying Shakespeare, she knew how to represent a text of King Lear, by making a short film of great pertinence, which has since been shown at the Paris film library. She found subtle equivalences between this text and concrete matter – water, pebbles, sand, a cliff, camera effects between depth and height – as she can here create a theater without speech in which matter, forms, lights and shadows speak for themselves.
Gisèle Venet (Professor at the Sorbonne) Paris, 2005.
Théâtre d'eau, géométrie rigoureuse qui révèle l'insaisissable enchantement du réel, jaillissements transparents parcourus d'ombres en contre-jour, plongeurs acrobates en plein saut, tout est étrangement reconnaissable, étrangement méconnaissable. Est-ce le Parc André Citroën à Paris dans le pétillement des jets d'eau? Un lac des Alpes dans cette étendue mate et lisse? Ou bien est-ce quelque Songe d'un nuit d'été en plein jour, où chaque acteur se dédouble en son ombre, gracieuse ou cocasse, comme dans le théâtre de Shakespeare si familier à Sabine Jaccard?Dans ces photographies, tout est événement dans l'instant, comme au théâtre, et pourtant rien ne se raconte en mots. De simples silhouettes à la Matisse, à première vue sans épaisseur, comme autant de sarabandes enfantines en papiers collés, révèlent des enfants réels qui jouent, s'immergent spontanément dans cet élément primaire qui les met tous en joie, un jardin d'eau, une forêt féerique d'arbres transparents que le vent au sommet épanouit en brouillard blanc ensoleillé de bulles. D'autres enfants aux mêmes ombres, aux mêmes corps acrobates, courent sur un ponton de bois rude. Ils vont sauter, ont sauté, suspendus en arcs de cercle, ou ramassés en boule, au-dessus de l'eau plate. L'un s'y enfonce déjà, poupée gauche, allumant mille feux à la surface soudain mobile.Car rien n'apparaît fixe, paradoxalement, dans ce que capte Sabine Jaccard, tout invite au mouvement, tout contraint le regard à suivre de subtils graphismes sur des surfaces tantôt mates, tantôt luisantes, rigoureusement étales, d'où surgissent les formes, là encore alliant des graphies contraires qui s'harmonisent: des cercles nets, d'où jaillissent les fûts des jets d'eau, s'alignent et s'incrustent dans de grandes dalles implacablement découpées en vastes carrés; les ombres des enfants y parcourent autant de marelles virtuelles. Les jets d'eau eux-mêmes, quintessence de transparence et de jaillissement vertical, projettent leurs ombres inattendues en contre-jour, longues obliques au sol qui dénient au regard la fluidité qu'ils promettent. De même, dans les photos de Talloires, devant les dégradés de gris des montagnes, la droite parfaite que dessine le lac à l'horizon est contredite par la perspective en fuite des pontons qui conduit le regard là où le nageur va toucher l'eau. Ces planches de bois sont elles-mêmes zébrées d'ombres fortes qui les font paraître plus géométriques, plus rigoureusement contrastées avec les mouvements bondissants qui y prennent forme.
Comme aimait le faire Shakespeare, sur les planches de son théâtre, tout est saisi dans ce moment où s'amorce une métamorphose, autre mot obsédant chez le poète de la contradiction baroque et du temps irrésolu, dans ce moment qui inscrit la courbe presque douloureuse d'une durée latente dans chaque instant, comme en attente de sa fin, quand le temps reprend son cours. Ainsi parfois des ballons dansent, au sommet des jets d'eau, équilibre instable de forces contraires, boules noires, luisantes, dans le perlé cristallin qui les élèvent, prêts à tomber pour toujours rebondir.
Pourtant, opportunément choisie pour annoncer l'exposition, une photo saisit le temps dans une apothéose idéale de l'instant: un jeu subtil de rappel et de métamorphose vient inscrire le jeu des enfants dans celui des hommes, tandis que les gracils lutins de ce Songe d'une fin d'été ou d'une fin du jour continuent à courir entre les colonnes d'eau, et que les fontaines forment une façade vivante de blancheur limpide devant la face noire d'un long bâtiment à l'arrière-plan, créant comme au théâtre l'illusion d'un improbable Versailles parisien. Pendant ce temps, le ballon d'une montgolfière, très haut sur l'axe central de la photo, rend sensible un moment d'équilibre parfait par la symétrie quasi sans faille qu'il suscite, comme si quelque ballon enfantin avait échappé à toute pesanteur, à toute menace de déséquilibre, à l'eau qui toujours retombe, pour n'être plus qu'élément dans l'air qui s'élève.
L'audacieuse contradiction créatrice que proclame Shakespeare dans Macbeth - "Le noir est le blanc, et le blanc est le noir" -, Sabine Jaccard semble vouloir la faire sienne dans ces photos. Déjà, à la Sorbonne, en étudiant Shakespeare, elle avait su mettre un texte du Roi Lear en images, créant un court-métrage d'une singulière pertinence diffusé depuis à la Cinémathèque de Paris. Elle avait su trouver de subtiles équivalences entre ce texte et la matière concrète - de l'eau, des galets, du sable, une falaise, des jeux de caméra entre profondeur et hauteur - comme elle sait ici créer un théâtre sans paroles dans lequel la matière parle, les formes, les lumières, les jeux d'ombres.
Gisèle Venet (Professeur à la Sorbonne Nouvelle) Paris, 2005